Comment une forme de la Nature se déploie-t-elle ?
Quel processus l’engendre en tous points semblable à elle-même ?
La plante
La graine n’est pas le début d’une plante mais un moment singulier d’un vaste et vieux continuum-plante. La terre et l’eau la font germer, elle pousse à l’air vers le soleil, chaque instant génère le suivant. Entre la peau des feuilles et l’atmosphère, à l’interface avec l’environnement, s’échange des atomes, s’assemblent des molécules. Des bourgeons viennent, la fleur épanouit tous ses attraits et se déploie. D’attractives effluves éveillent l’appétit de la butine. Entre le pistil et l’étamine, des données génératrices sont transmises d’une fleur à l’autre par les butineurs. Quand la graine à son terme quitte la plante, la connexion avec la matrice est rompue, la graine transporte la continuité. Mais alors, pourquoi la plante se reproduit-elle ? Cette question a-t-elle un sens ? Un continuum ne se reproduit pas puisqu’il est continu. Ce qui se reproduit, c’est la même succession d’évènements, la même maturation à chaque saison, aux mêmes cycles, ce sont les formes du temps. Les générations successives de la plante transmettent aux suivantes les évolutions de leur corps appropriées aux changements de l’environnement. Il s’agit d’être pérenne. Par quoi la plante est-elle animée pour être pérenne ? Le conatus de Spinoza serait « l’effort de toute chose pour persévérer dans son être ». Le mot effort est une erreur de traduction car il n’a pas échappé à Spinoza que la plante en toute circonstance va au moindre effort pour déployer amplement sa transformation avec le minimum d’énergie. La Nature est à la fois économe et prodigue. Une meilleure traduction serait l’envie, « l’envie de toute chose pour persévérer dans son être ». Le conatus est l’envie d’être en vie. Ce qui n’explique rien mais s’entend mieux. Car dire de la Nature qu’elle fait effort est une façon de penser laborieuse où s’imagine un enchainement de causes volontaires et d’effets maîtrisés dans un but défini. La Nature est autogène, elle n’est ni volontaire ni laborieuse, et dire de la Nature qu’elle travaille est une interprétation. La Nature échappe à tout entendement dés qu’une mesure met un terme à sa continuité. De ce point de vue, on voit un arrêt sur image, un cliché du passage, mais pas ce qui relie les instants, pas l’envie.
La bulle
En comparant la surface d’une bulle à celle d’une bulle plus grande, on constate que le rapport entre la surface et le volume d’une bulle n’est pas constant d’une bulle à l’autre. Cela vient du fait que la variation du volume se calcule au cube et celle de la surface au carré. Quand une bulle grandit, sa surface diminue relativement au volume. À l’inverse quand la bulle diminue, la surface est plus étendue, et par conséquent le volume est plus exposé à ce qui l’environne. Ainsi des corps identiques mais de tailles différentes n’ont pas les mêmes propriétés environnementales. Ce phénomène est démontré dans « Forme et croissance » écrit par D’Arcy Thompson. C’est une constance transversale de la forme. Ainsi dans un nanotube de carbone, la résille d’atomes qui enveloppe le tube est hyperactive relativement à la masse infinitésimale du volume. Mais dans le champ sans échelle des équations fondamentales de la Physique, il est essentiellement question de masse et d’énergie, pas de forme. Comme si la forme était subordonnée à la masse et à l’énergie, et par conséquent secondaire. Pourtant, pendant la morphogenèse d’un corps naturel, les formes, les forces et les matières sont interactives. La physique actuelle en négligeant la forme se prive d’une constante transversale entre toutes les échelles, qui donne une prédictibilité environnementale plus régulière que celle de la probabilité de la physique quantique.